C’est quoi la vie d’un candidat?

S’investir dans une campagne comme celle des élections cantonales n’est pas une mince affaire. Une expérience unique qui nécessite d’avoir la pêche à chaque instant.

Tout d’abord, quand on est candidat, on est moins riche que d’habitude. On investit son argent personnel (9000 euros). Bon, cela tombe bien, le planning chargé entre Noël et le jour-J empêche de partir en vacances, de faire du lèche-vitrine ou de réfléchir à vos futurs achats compulsifs: voiture/moto/maison/bateau/vélo/.

Quand on est candidat, deux types de personnes vous appellent toutes les heures : la famille et votre directrice de campagne. La famille veut naturellement prendre de vos nouvelles, vous donner son avis sur le dernier article ou vous assurer que dans le journal du jour, les concurrentes font moins crédibles (oui ! je le sais). La directrice de campagne, quant à elle, vient prendre de vos nouvelles,  vous donner son avis sur le dernier article ou vous assurer que dans le journal du jour, les concurrentes font moins crédibles (en fait la différence est floue).  Nous verrons que son rôle est essentiel.

Quand on est candidat, on travaille dès octobre, en petit comité, le futur thème de campagne. Période de grands débats. Les cadeaux de Noël déballés, vous passez la 5^ème vitesse, et travaillez à 300% de votre temps (matin, midi et les nuits) pour rédiger les projets, les professions de foi, bulletins de vote, construire le site web, choisir une charte graphique, etc… C’est un travail collectif. Sans l’équipe qui vous entoure rien ne se ferait.  On se repose sur eux, sur leurs propositions et leurs compétences. Il faut trancher, prendre des décisions. La directrice de campagne est là.

A côté de cela, on a en général un métier (enseignant-chercheur en géologie). Les élèves vous attendent à 8h en cours (vous venez  de finir à 4h la rédaction d’un tract). Certains ne comprennent pas la note qu’ils ont eu au partiel, il faut retrouver la copie (euh non pas dans la pile de tracts!). En général, un collègue vous attend en sortie d’amphi. Etant au conseil d’administration de la fac, on vous demande votre avis sur telle ou telle réforme pédagogique, sur la future embauche de l’ingénieur d’étude, ou encore de faire un devis pour une commande de matériel pédagogique.

Avant midi, vous regardez vos emails. Il y a toujours un message du CNRS qui clignote, vous demandant un rapport urgent sur un projet national de recherche dont vous avez l’expertise à réaliser. Le thésard n’est jamais loin, appelant à l’aide. Suite à un bug informatique il a perdu toutes ses données, sa vie est foutue, il veut démissionner.

En général vous mangez avec vos amis-collègues (et le thésard que vous tentez de ramener à la vie), mais comme c’est la campagne électorale, vous avez été obligé de déplacer un précédent cours qui se retrouve ce jour-ci entre midi et deux: sandwich au programme. On vous appelle souvent à cette heure-ci (hors famille et directrice de campagne) pour vous proposer entre deux bouchées soit une soirée « Sans Valentin » organisée par des amis dans un bar le dimanche suivant, soit une interview sur vos priorités sur le canton (ne pas mélanger les idées, se recentrer sur le dépendance et le développement économique du département pour ne pas fourcher sur une vague histoire de plaques tectoniques, pire de Valentin).

L’après-midi, si la rédaction des tracts est achevée, est dédié à une visite de quartier avec rencontre des habitants et des commerçants. Accompagné de votre remplaçante et parfois d’un conseiller général ami, après « un » café ou « un » verre(s), on vous explique le dégout pour la politique ou la déception des élus municipaux qui ne dialoguent plus (pas?). Dans tous les cas, c’est ici que les projets se construisent, que les idées fortes naissent, que vous sentez que l’on compte sur vous dans cette élection. On se sent réellement investi d’une mission. Lourd de sens.

Parfois, vous avez une cérémonie, une exposition, ou une réunion publique avec ou sans buffet. Cela peut paraître rébarbatif et mondain, tout dépend, non pas du cocktail, mais des gens que vous rencontrez.  Vous faites des rencontres impromptues et magnifiques, parfois touchantes et marquées à jamais dans votre tête. Charlotte vous raconte la déportation et comment elle a été sauvée par les « justes ». François vous explique son combat  pour la cause gay.  Le  préfet fraîchement arrivé veut connaître les forces politiques nancéiennes, il vous questionne sur vos choix, vos amis, vos ennemis surtout.  Erik vous invite  à débattre sur une radio.  Au nouvel an berbère, Abdellah vous invite à reprendre du couscous (c’est la troisième fois). Louis, un entrepreneur vous explique ses difficultés financières mais son profond désir de préserver l’emploi de son ouvrier.  Adeline, jolie dessinatrice de BD pour enfants vous expose ses nouvelles créations. Laurent, député, aimerait bien voir la vie en bleu. Vous lui suggérez que l’orange lui irait à merveille. Christiane, grande collectionneuse souriante, vous invite à revenir avec vos timbres (et vous promet de voter pour vous –même si elle n’habite pas sur le canton-). Murielle, directrice d’une école d’ingénieurs vous présente fièrement les locaux, le programme pédagogique innovant et son souhait de travailler plus en symbiose avec l’université. Marcel, ancien SDF, sorti de la misère par une association, vous raconte comment était l’établissement d’accueil avant 1978.  Philippe et sa mère Marie, vous expliquent l’épreuve d’être handicapé et la rage de vivre qui les animent…

Bref ! Ces cérémonies sont simplement un concentré de ce que nous sommes, de ce qu’est la vie en général. Un homme politique ne peut pas s’y substituer au risque d’être déconnecté de la réalité, des citoyens.

En général, il est minuit. Vous avez deux possibilités. Soit vous prenez le temps d’une vie privée et vous retrouvez vos amis à une soirée en cours (on rattrape vite), soit vous rentrez vous reposer, relire ou rédiger un article sur votre blog que vous aimeriez publier pour le matin.  A moins que vous ayez des messages en attente qui nécessitent une réponse.

Une fois dans votre lit, si les échéances électorales stressantes ne sont pas trop proches, vous dormez bien et mettez en moyenne 15 secondes pour plonger dans des rêves hallucinants mélangeant Murielle, la tectonique des plaques, Philippe, Adeline, le drapeau français, Christiane, Erik, le CNRS, Charlotte, le couscous, Laurent, la place Stan’…

Antoine Le Solleuz

Candidat Nancy Est